Fanny Gicquel
breathing with heels, walking with eyes

Temple Bar Gallery + Studios, Dublin, IE
19 Mai - 2 Juillet 2023

Les environnements sculpturaux tactiles et évolutifs de Fanny Gicquel font écho à des formes intimes et naturelles. Leurs composants sont dépendants les uns des autres, offrant des points de repos là où des groupes sculpturaux s'harmonisent et interagissent. Les bandes d'aluminium sinueuses qui délimitent le sol de la galerie s’apparentent à la courbure d'un corps au repos ou à l'ondulation d'un rivage. Cet alignement entre les contours discrets d’un corps et les formations naturelles permet à Gicquel d'explorer le point de contact entre l'animé et l'inanimé, traçant un paysage mouvant et transitoire.

Le langage rencontre la matérialité tout au long de l'exposition. Son titre associe deux références de David Le Breton, sociologue et anthropologue qui écrit sur la marche en tant qu'expérience métaphysique. Dans son livre Marcher la vie : Un art tranquille du bonheur, Le Breton évoque l’acte de « respirer par les talons », une méthode taoïste qui consiste à interagir consciemment avec la terre sous nos pieds, son énergie et sa connectivité. « Marcher avec les yeux » est une expression d'Alexandra David-Néel (1868 - 1969), une exploratrice et spiritualiste qui préconisait de se déplacer dans le monde en se laissant guider par l'intuition, sans suivre un chemin prédéfini. De la même manière, l'approche de Gicquel pour l'installation de l'exposition a été déterminée par la réunion de nombreux éléments et matériaux disparates, et en composant de manière réactive leurs liens au sein de la galerie. Pour elle, cette approche transitoire fait se fusionner l'atelier et les espaces d'exposition, résultant en un flux de travail circulatoire.

Des surfaces composées de bandes en aluminium et de bancs de sable à la dérive ouvrent plusieurs parcours sinueux à travers l'exposition. how far is it ? how far is it now ? (2023) tire son titre des premières lignes du poème « Getting There » de Sylvia Plath, dans le recueil Ariel (1965), et rappelle également la manière dont les enfants peuvent exprimer leur impatience et leur anticipation pendant un trajet. Les parcours guidés sont réalisés par moulage directement sur la plage de Penmarch, dans la région d'origine de l'artiste, la Bretagne. Gicquel a inscrit des marques dans le sable en marchant, parfois avec intention, parfois sans but précis, pour créer des spirales, des sentiers et des lignes qui ont ensuite été remplis d'aluminium fondu, incorporant des traces de sable, des pierres et des défauts dus aux réactions entre le métal liquide et l'eau salée.

Les personnes qui visitent l’exposition sont encouragées à imiter la « dérive » sur la plage entreprise par Gicquel, et à décider de leurs mouvements, de leur attention et de leur rythme dans la pièce, en écho aux mouvements de quatre performeur.euses qui habitent périodiquement l'exposition avec une combinaison d'actions individuelles et collectives. L'intégration d'activations chorégraphiées et improvisées, imaginées par l'artiste puis exécutées, avec soin mais de manière ludique, par les performeur.euses, crée un curieux sentiment de conscience de soi. Leurs gestes subtils, qui activent l'installation de Gicquel, incluent le contact, la réorganisation et l'interaction entre eux et avec des substances élémentaires telles que l'eau, l'air, la vapeur et la lumière réfléchie.

Lors de sa première visite à Temple Bar l'année dernière, Gicquel a observé les passants à l'extérieur de la galerie et la façon dont cette présence constante joue un rôle à part entière dans les expositions. L’allure pressée et déterminée des gens qui marchent dans la rue l'a incitée à ralentir et à se déplacer sans intention d'aller quelque part, à l'intérieur de l'exposition. Cette sensation fait partie intégrante de son travail à travers le symbolisme d'un point de rencontre ou d'un lieu de contact. Les grandes fenêtres en verre constituent un écran visuel et poreux à la lumière qui relie l'intérieur à l'extérieur, tout comme la plage est le point de rencontre entre la terre et la mer, constitué par la fusion de matériaux solides et liquides. Gicquel utilise la fenêtre de la galerie comme un espace où l'on voit et où l'on est vu. L'harmonie entre l'immobilité et le mouvement est également une caractéristique de ses installations, qui résonne particulièrement dans les performances lentes et méditatives, où une douce concentration suscite des relations étroites entre les objets et les corps.

L’environnement de la plage suscite une forme de tranquillité d'esprit, décuplée par les sons relaxants du roulement des vagues et des oiseaux marins. Vaste par nature, la plage permet à Gicquel de jouer avec les associations d'espace horizontal entre la terre et la mer, et les actions qui s'y déroulent, comme s'allonger et prendre un bain de soleil. sharing skysummer (2023), un ensemble de bannières en tissu bleu et violet, est suspendu au niveau du sol dans la galerie, créant ainsi un horizon. Cela ressemble également à un coupe-vent qui offre une protection contre les éléments ainsi qu’un espace intime et clos. Les bannières ont le potentiel d’être reconfigurées : elles peuvent être pliées, étirées et repositionnées comme des couvertures de pique-nique, des serviettes de plage ou des drapeaux sémaphores. Gicquel évoque la possibilité d'une « peinture vivante » qui pourrait déplacer l’arrière-plan de l'exposition, laissant l'installation ouverte au changement, grâce aux actions des performeur.euses.

Tout au long de l'installation, les sillons de sable incitent à s’arrêter à côté de récipients en verre, remplis d'eau (a stone or a wave, 2023), de fragments de miroir et d'éléments en verre soufflé (body of work for aquaspace, 2023). Les zones environnantes attirent également l'attention sur des particules de coquillages, du verre dépoli et des très petites sculptures en paraffine, façonnées à la main en forme de pierres ; des formes qui fusionnent le naturel et l'imaginaire. Pendant l'installation, notre réflexion s’est portée sur la nouvelle de Virginia Woolf « Solid Objects » (1920). L'un des nombreux fils conducteurs qui traversent le texte est l'obsession croissante du protagoniste pour la découverte de fragments matériels (verre dépoli par les vagues, tesson de céramique brisé), mais sa curiosité et son émerveillement enfantin pour le sable et son interaction avec l'eau, ainsi que la « rêverie à demi consciente » dans laquelle il fait de plus en plus l'expérience du monde, trouvent une résonance particulière avec l'exposition de Gicquel*.

Comme Woolf décrivant l’« incontestable vitalité » des personnages marchant sur une plage déserte, Gicquel relie l'intérieur et l'extérieur de la galerie, avec des œuvres qui exagèrent et répondent de manière ludique à l'activité extérieure et à leur distance dans le cadre protégé de la galerie. mouth was thinking about eyes (2023) est un trio de cônes de verre suspendus qui font référence à des porte-voix, des télescopes, ou des dispositifs d'écoute qui sont une réponse directe à la rue animée et chaotique de Temple Bar. Ils créent également un potentiel d'expériences sensorielles personnelles, comme écouter le son de la mer à l'intérieur d'un coquillage. L'utilisation du sable par Gicquel tout au long de l'exposition évite une configuration définitive des matériaux en raison de son positionnement indéterminé, tout en reconnaissant les liens avec les notions de soin et de préservation associées à la plage et à la baignade en mer dans le paysage urbain de Dublin.

Trois sculptures de plus grande taille prenant la forme de membres désincarnés sont placées sur le sol ou contre le mur. Leur titre, prendre corps, établit un parallèle entre la fabrication à la main de l'œuvre, sa visualisation en tant que parties du corps sculpturales, et son activation par des performeur.euses. Gicquel a pris en compte la vulnérabilité implicite des genoux, des coudes et des talons en plaçant des coussins rembourrés (rest to the bones, 2023) entre les articulations squelettiques et les surfaces dures du bâtiment ; un autre point de contact, qui a été réfléchi dans une démarche de soin et d’intimité.

* « Contemplé sans cesse, semi-consciemment, par un cerveau qui pense à autre chose, un objet, n’importe lequel, se mêle si profondément à la trame de la pensée, qu’il perd sa véritable forme et qu’il se recompose un peu différemment sous une forme idéale qui hante l’esprit aux moments les plus inattendus. » Solid Objects a été porté à notre attention par l'artiste Niamh O'Malley, qui nous a fait part d'un article de Margaret Iverson sur le travail des artistes Becky Beasley et Lucy Skaer.

Fanny Gicquel vit et travaille à Rennes. Ses récentes expositions personnelles incluent Hua International, Beijing (2022) et Berlin (2021) ; the left place the right space, Reims (2020) ; Passerelle Centre d'art Contemporain, Brest (2020) ; et Unworlding, Frieze, Londres (2021). Parmi les expositions collectives récentes, on compte le Frac Bretagne, Rennes (2022) ; le Beiqiu Museum of Contemporary Art, Nanjing (2022) ; Art Souterrain, Montréal (2021) ; Buropolis, Marseille (2021). Gicquel a reçu le Fieldwork Marfa Hostcall Prize, Texas (2022), et le Prix du Frac Bretagne - Art Norac, à l'issue d'un processus de sélection mené en collaboration avec le Frac Bretagne et Temple Bar Gallery + Studios.

Traduction de Lara Touitou.